LA MACHINE A DESINTEGRER /3me Partie

mars 12th, 2011 | admin

’est fait, répondit Nemor. Vous avez admirablement réagi. Levez-vous ; le Pr Challenger va certainement prendre votre place maintenant.

Jamais je n’avais vu mon vieil ami pareillement bouleversé. Ses nerfs d’acier avaient flanché. Il me saisit par le bras d’une main tremblante.

– Mon Dieu, c’est vrai, Malone ! dit-il. Vous avez été désintégré. Pas de doute ! Pendant quelques secondes il y a eu du brouillard, et puis plus rien, le vide !

– Combien de temps ai-je disparu ?

– Deux ou trois minutes… J’étais, je l’avoue, horrifié ! Je ne pouvais pas supposer que vous alliez revenir… Il a poussé ce levier, en admettant que ce soit un levier, vers une nouvelle butée, et vous avez reparu sur votre chaise : vous aviez l’air un peu ahuri ; à part cela, vous n’aviez pas changé. Ah ! j’ai remercié Dieu quand je vous ai revu !

Il épongea son front moite de sueur avec son gros mouchoir rouge.

– Maintenant, monsieur ? interrogea l’inventeur. À moins que vous n’ayez pas les nerfs solides…

Visiblement, Challenger se raidit et banda ses muscles. Puis, écartant ma main qui voulait le retenir, il s’assit sur la chaise. Le levier fut poussé au chiffre trois. Plus de Challenger !

J’aurais été épouvanté si l’inventeur n’avait témoigné d’un parfait sang-froid.

« Intéressant processus, n’est-ce pas ? observa-t-il négligemment. Quand on réfléchit à la formidable personnalité du professeur, il est stupéfiant de penser qu’il n’est plus à présent qu’un nuage moléculaire suspendu quelque part dans cette pièce. Le voici, bien entendu, tout à fait à ma merci. Si je décidais de le laisser en suspension, rien sur la terre ne pourrait m’en empêcher.

– Je trouverais bientôt un moyen de vous en empêcher !

Le sourire fit place, encore une fois, à l’affreux rictus.

– Vous ne supposez pas, j’espère, qu’une telle idée me soit venue en tête ? Grands dieux ! Pensez à la dissolution permanente du grand Pr Challenger… Évanoui dans l’espace cosmique sans laisser de traces ! Terrible ! Terrible ! Au fait, il n’a pas été aussi courtois qu’il aurait dû l’être. Ne croyez-vous pas qu’une petite leçon… ?

– Non. Je ne crois pas !

– Eh bien ! Nous allons nous livrer toutefois à une démonstration peu banale. Quelque chose qui vous donnera la matière d’un alinéa passionnant dans votre article. Par exemple, j’ai découvert que le système pileux du corps est sur une vibration tout à fait différente de celle des tissus organiques vivants ; je puis donc l’inclure ou l’exclure dans ma recomposition structurale. Or cela m’intéresserait de voir ce sanglier sans sa soie. Regardez !

Il y eut un bruit sec du levier. Un instant après, Challenger reparaissait sur sa chaise. Mais quel Challenger ! Un vrai lion tondu ! J’avais beau être furieux de la plaisanterie dont il était victime, je ne pus pas me retenir : j’éclatai d’un rire inextinguible !

Sa tête énorme était aussi chauve que celle d’un bébé, son menton aussi lisse que celui d’une jeune fille. Privée de sa glorieuse parure de poils, la partie inférieure du visage n’était que bajoues et jambons. Il ressemblait à un vieux gladiateur, cabossé et ballonné. Ses mâchoires de bouledogue saillaient sur le menton massif.

Peut-être est-ce ce qu’il lut sur nos visages – car je suis sûr que le méchant sourire de mon compagnon avait dû s’élargir devant ce spectacle… Quoi qu’il en fût, la main de Challenger se porta à son crâne, et il se rendit compte de son état. Dans la seconde qui suivit cette découverte, il avait bondi de sa chaise, attrapé l’inventeur par la gorge, et il l’avait projeté à terre. Connaissant la force immense de Challenger, j’étais persuadé qu’il allait le tuer.

– Prenez garde, au nom du ciel ! m’écriai-je. Si vous le tuez, nous ne pourrons jamais remettre les choses en état !

L’argument prévalut. Même dans ses pires moments de folie, Challenger était toujours accessible à la raison. Il se releva, tirant avec lui l’inventeur qui avait cru que sa dernière heure était arrivée.

– Je vous donne cinq minutes ! bégaya-t-il en haletant de fureur. Si dans cinq minutes je n’ai pas recouvré ma condition première, j’extirpe la vie de votre misérable petit corps !

Il n’était guère prudent d’argumenter avec Challenger en fureur. Cet homme aurait fait reculer devant lui les plus braves, et M. Nemor n’avait apparemment rien d’un courageux. Au contraire, les pustules et les boutons qui fleurissaient son visage étaient devenus plus visibles, car la couleur de la peau tout autour avait viré du mastic au ventre de poisson. Il tremblait de tous ses membres ; à peine put-il articuler quelques mots :

– Réellement, professeur ! balbutia-t-il en caressant sa gorge endolorie, la violence n’est pas nécessaire. Il ne s’agissait que d’une plaisanterie… D’une plaisanterie inoffensive… Entre amis… Je voulais vous démontrer tous les pouvoirs de ma machine. Je m’étais imaginé que vous souhaitiez une démonstration complète. Je ne voulais pas vous offenser, je vous en donne ma parole, professeur !

Pour toute réponse, Challenger regrimpa sur la chaise.

– Surveillez-le, Malone ! Ne tolérez aucune privauté, n’est-ce pas ?

– Je veille, monsieur.

– À présent, arrangez-moi ça. Sinon vous en supporterez les conséquences !

Terrorisé, l’inventeur s’approcha de la machine. La puissance de recomposition fut donnée à plein. En une seconde, le vieux lion avait recouvré sa crinière hirsute. Il se frappa affectueusement la barbe et passa les mains sur son crâne pour s’assurer que la restauration était totale. Puis, avec une solennité infinie, il descendit de la chaise.

« Vous avez pris une liberté, monsieur, qui aurait pu entraîner pour votre personne des suites très graves. Je me borne toutefois à prendre note de votre explication, à savoir que vous auriez agi uniquement dans un but démonstratif. Puis-je à présent vous poser quelques questions directes sur ce pouvoir remarquable dont vous revendiquez la découverte ?

– Je vous répondrai sur tous les points qu’il vous plaira, sauf sur la nature de la source du pouvoir. C’est mon secret.

– Et êtes-vous sérieux quand vous nous déclarez que personne au monde ne le connaît en dehors de vous-même ?

– Personne au monde !

– Vous n’avez pas eu d’assistants ?

– Non, monsieur. Je travaille seul.

 

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